De l'utopie à la réalité

Désengagement et abstentionnisme

La belle utopie communautaire de l’élan originel se heurte néanmoins à quelques dures réalités.

« Les avis les plus négatifs exprimés par les résidents concernant les étudiants eux-mêmes. Ils déplorent la passivité de bon nombre de résidents qui se laissent vivre dans le confort et la facilité (enfer ou paradis ? se demande une jeune fille), le manque d’égards réciproques, l’absence d’un réel niveau culturel, le bruit, voire la saleté que laissent d’aucun(e)s derrière eux (elles). » Dès 1968, un Bernois tire sur la corde nostalgique, proposant comme amélioration d’« essayer de recréer un esprit de coopération et de communauté au sein des appartements comme il existait au début ; c’est plus important que toutes les manifestations à la salle des fêtes. »

1968, Témoignage de Leni Landegent, étudiante hollandaise

« L’esprit communautaire ne se crée pas en logeant des gens ensemble ; il se base sur des principes psychologiques et non physiques. »

Une Suissesse-allemande

Alors que les résident-es sont régulièrement invité-es à prendre toutes les initiatives qu’ils ou elles désirent, le nombre d’animateurs n’est pas à la hauteur de l’utopie. Pourtant « l’expérience prouve que des résultats remarquables sont atteints dès qu’un groupe ‘mord’ à une activité (…) mais il arrive inévitablement que les meneurs quittent la Cité et que la relève ne se fasse pas au même niveau. »

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Jeux à la cité Universitaire de Genève

Si les jeux (billard, football, échecs, cartes) remportent un vif succès, « chaque levée de caisse rapportant des sommes rondelettes à la caisse des loisirs », ces pratiques sont pourtant jugées sévèrement par le directeur : « Les activités récréatives attirent davantage que les culturelles, ce qu’on comprendrait d’un milieu d’apprentis, mais moins bien des étudiants, ‘élite de demain’, même si l’on tient compte du besoin de détente après les cours. »

Les critiques sur la Cité ?

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Témoignages Cité Universitaire de Genève

« J’ai été étonnée de constater quelle importance il faut attribuer au milieu social et à la nationalité pour pouvoir établir une amitié durable / Le manque de tranquillité vu le manque de respect pour les autres, soit le jour, soit la nuit / Hypocrisie de la communauté : l’abstentionnisme des résidents envers les activités communautaires montre très bien qu’ils ne cherchent pas cette vie communautaire en premier / La passivité : tout est servi, les amis sont là à nous entourer, les repas sont préparés, la vaisselle lavée, la chambre nettoyée : le paradis ou l’enfer ? / La tendance à créer une collectivité artificielle avec des gens qui, en général, n’ont d’autre point commun que d’habiter le même immeuble / La Cité est un vase clos. »

Une Suissesse-allemande, un Grec, un Allemand, une Suissesse-allemande, une Turque, une valaisanne

« A bas les idées et vive la vie ! Les difficultés relèvent des différences d’éducation. J’ai peut-être manqué de curiosité. Je le regrette après coup. »

Une vaudoise

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L'auto-discipline serait-elle genrée?

« Dans une communauté ayant à peu près la taille d’une famille, l’auto-discipline maintient l’ordre tout naturellement : car on n’admet pas que le laisser-aller d’un ami le compromette aux yeux d’autres ou altère le style de vie de l’équipe » imagine Jean-Aimé Baumann dans sa vision utopique de la Cité. Cette auto-discipline serait-elle genrée ?
Le rapport d’enquête auprès des ancien-es résident-es de la Cité publié en 1968 semble y apporter une réponse définitive : « car c’est un fait bien connu et vérifié dès l’ouverture de la Cité que les filles ont beaucoup moins le sens de la vie en commun que les garçons. Désordre et saleté sont nettement plus marqués au bâtiment B que dans la Tour. »
Ou pas… comme semble l’infirmer un Ecossais, pour qui « il serait indispensable de persuader les résidents de vider les poubelles et de ne pas voler dans les frigos, ou bien d’organiser des poubelles et des frigos particuliers. »

Leni Landegent, étudiante hollandaise, 1968